✒️ Endométriose : en quoi les modèles animaux demeurent indispensables

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Maladie gynécologique méconnue, l’endométriose affecte au moins une femme sur dix, mais demeure incurable. Pour comprendre ses causes et trouver des traitements, l’expérimentation animale demeure, dans ce domaine, particulièrement utile. Explications et détails.

L’endométriose en bref

L’endométriose est une maladie gynécologique qui affecte au moins une femme sur dix, soit au moins 1,5 million de femmes en France, et180 millions de femmes dans le monde.

Chronique, cette maladie se manifeste par la présence d’endomètre, la muqueuse qui tapisse l’intérieur de l’utérus, à l’extérieur de celui-ci, sur d’autres organes : trompes de Fallope, ovaires, vessie, intestins, péritoine, diaphragme,…

Du fait de leur sensibilité aux hormones sexuelles, les tissus endométriosiques présents à ces endroits vont saigner chaque mois durant les règles comme l’endomètre, et occasionner une inflammation, des douleurs pendant les règles, mais aussi durant les rapports sexuels, à la miction et/ou à la défécation… À terme, la maladie peut conduire à une infertilité.

Comme l’endométriose est liée aux règles, les traitements actuels, qui ne permettent pas de guérir de la maladie, visent à supprimer les règles et à mettre le corps dans un repos hormonal plus ou moins important : pilule contraceptive en continu, progestatif, mise en ménopause artificielle à l’aide d’analogues de la GnRH… La chirurgie, seule approche qui permet de retirer les lésions, est également très pratiquée pour soulager les patientes.

L’endométriose, une maladie complexe aux formes multiples

De par le fait qu’elle peut affecter plusieurs ensembles d’organes, comme l’appareil digestif, l’appareil urinaire, et l’appareil reproducteur entre autres, l’endométriose nécessite bien souvent une prise en charge multidisciplinaire. De la même manière, la recherche sur l’endométriose nécessite une vue d’ensemble faisant appel à plusieurs disciplines pour mieux comprendre cette maladie complexe. Nous avons notamment besoin de mieux connaître la ou les origine(s) de la maladie, son évolution, d’identifier d’éventuelles causes génétiques, d’éventuels marqueurs spécifiques, d’étudier les mécanismes inflammatoires et immunitaires impliqués, d’évaluer la réponse aux traitements hormonaux et contre la douleur, etc.

La recherche in vitro, sur cellules et tissus, pour étudier le microenvironnement des lésions

La recherche menée in vitro, en laboratoire, est utile. Dans le domaine de l’endométriose, cette recherche se concentre principalement sur l’étude de lésions d’endométriose collectées via biopsie. Les chercheurs étudient également l’endomètre des patientes atteintes d’endométriose, le péritoine (membrane qui tapisse la face profonde de la cavité abdomino-pelvienne), ou encore le liquide péritonéal. Des modèles de co-culture ou de cultures cellulaires tridimensionnelles (3D) ont récemment été utilisés pour évaluer l’effet d’un type de cellule sur un autre, et étudier les interactions entre les différents types cellulaires présents dans une même lésion d’endométriose. Si l’on arrive à les développer suffisamment pour étudier les interactions entre plusieurs organes, ces modèles 3D pourraient représenter une future alternative aux modèles animaux pour étudier certains aspects de l’endométriose.

Actuellement, les recherches in vitro visent à identifier des marqueurs biologiques de la maladie, déterminer les facteurs génétiquesimpliqués, comprendre la nature des lésions et identifier de nouvelles cibles thérapeutiques à l’échelle cellulaire et moléculaire.

C’est notamment grâce à des études in vitro que l’on a constaté que les lésions d’endométriose étaient très innervées, permettant un “dialogue” entre le microenvironnement de la lésion et le système nerveux. Il a également été observé que de nombreuses cellules immunitaires sont présentes dans les lésions et qu’elles contribuent au microenvironnement inflammatoire de la lésion.

Mais outre le fait que les études in vitro nécessitent, pour être menées à bien, de grands nombres d’échantillons de biopsies humaines, celles-ci présentent un certain nombre de limites et ne permettent pas d’étudier tous les aspects de l’endométriose, de répondre à toutes les questions.

Au niveau expérimental, l’exploration des différentes fonctions physiologiques impliquées dans l’endométriose demande l’étude d’un organisme complet”, nous explique ainsi Marina Kvaskoff, chercheuse à l’Inserm (U1018) en épidémiologie de l’endométriose. “Les études in vitro ne permettent pas l’étude des interactions systémiques (hormonales, inflammatoires ou immunitaires par exemple) intervenant dans la maladie”, ajoute-t-elle. Pour connaître et comprendre la physiopathologie de l’endométriose (c’est-à-dire les dérèglements du mode de fonctionnement normal des éléments constitutifs du corps résultant de cette maladie) et ainsi identifier de nouveaux traitements de la maladie, les modèles animaux sont essentiels. Ils permettent d’interroger les organismes entiers, de travailler à plus grande échelle, pour répondre à des questions clés telles que : d’où vient l’endométriose ? Quelles sont les causes de cette maladie ? Comment se développe-t-elle et progresse-t-elle ? Par quels mécanismes induit-elle une infertilité ?…

Rats et souris, des modèles murins principalement utilisés pour l’étude de la douleur

Comme dans beaucoup d’autres domaines de recherche, les rats et les souris sont les modèles prépondérants quant il s’agit d’étudier l’endométriose.

Le rat a été utilisé à partir des années 1980, et beaucoup de nos connaissances actuelles sur les mécanismes de la douleur dans l’endométriose proviennent de l’étude de ce modèle”, détaille Marina Kvaskoff, à la lecture d’un article scientifique publié dans la revue Acta Obstetricia et Gynecologicaa Scandinavia le 5 avril 2017, exposant les différents modèles utilisés dans la recherche sur l’endométriose.

Dès 1985, un modèle de rat a ainsi permis de montrer que l’endométriose extra-utérine avait une incidence sur la fonction ovarienne, en affectant le développement folliculaire. Pour ce faire, les chercheurs avaient implanté des morceaux d’endomètre du rat hors de la cavité utérine, pour “mimer” des lésions d’endométriose.

Depuis, les modèles murins (rat, souris), sont surtout utilisés afin d’étudier la douleur et la réponse aux traitements antalgiques dans l’endométriose.

Suite à cette première expérience en 1985, les modèles ont bien-sûr été raffinés, afin de s’approcher au plus près de ce qui peut se passer dans le corps d’une femme atteinte d’endométriose.

Les techniques d’IRM ont permis de limiter le nombre d’animaux utilisés, en observant de manière non-invasive l’évolution des lésions.

D’autres modèles ont été créés, et notamment des modèles de souris, car cette espèce est plus facile à manipuler génétiquement. Les chercheurs peuvent ainsi mettre au point des animaux dont certains gènes ont été modifiés afin d’en étudier les effets sur la maladie. Il est également possible d’utiliser des souris dont certaines protéines ont été rendues fluorescentes, permettant un meilleur suivi des cellules d’intérêt.

On distingue deux modèles de souris majeurs pour la recherche sur l’endométriose :

  • le modèle de xénogreffe : il consiste à greffer des lésions d’endométriose humaines sur des souris, qui sont alors dites “humanisées”. Il permet d’observer une réponse in vivo à un traitement et de savoir quels sont les types de cellules activées par ce traitement. Il n’y a pas de rejet de la greffe de tissu humain, car la souris est immunodéprimée : ses défenses immunitaires sont volontairement réduites afin de faciliter la greffe. La limite majeure de ce modèle est que l’immunosuppression empêche d’étudier la réponse immunitaire du corps face aux lésions ainsi que la réponse inflammatoire.
  • le modèle syngénique : plus proche de ce que l’on observe chez la femme, ce modèle consiste à injecter des cellules d’endomètre de souris à une autre souris. Une variante du modèle a été mise en place en 2014 : contrairement au premier modèle de rat, la souris donneuse a subi des modifications hormonales pour recréer le cycle menstruel de la femme, en vue d’obtenir de l’endomètre “menstruel” : de l’endomètre qui est bien issu des règles. La souris receveuse n’étant pas immunodéprimée, l’étude des réactions inflammatoires et immunitaires est ici pleinement possible.

Malgré tout, les rongeurs, qui n’ont pas de menstruations mais des chaleurs (ou œstrus), n’ont pas d’endométriose qui se crée spontanément. L’endométriose doit forcément être recréée en laboratoire, ce qui nécessite parfois une ablation des ovaires du rongeur, empêchant alors d’étudier les effets de l’endométriose sur la fertilité.

Endométriose de a trompe de Fallope

Les primates non humains, indispensables pour l’étude de la physiopathologie de l’endométriose

L’endométriose spontanée, c’est-à-dire survenant naturellement, ne s’observe que chez les humains et chez certains primates, notamment le macaque rhésus et le babouin. Ainsi, les primates non-humains ayant des menstruations demeurent le modèle le plus pertinent physiologiquement et anatomiquement parlant pour l’étude de l’endométriose.

Quand certaines maladies surviennent aussi bien chez la souris que chez l’homme, rendant peu utiles les expérimentations sur primates, l’endométriose ne survient, elle, spontanément que chez les primates, dont l’espèce humaine fait partie.

L’étude de l’endométriose chez le babouin a notamment permis d’étayer l’une des hypothèses majeures pour expliquer l’apparition de la maladie : la théorie des menstruations rétrogrades. Selon cette hypothèse, le sang des règles refluerait par les trompes utérines et libérerait des morceaux d’endomètre dans la cavité péritonéale, colonisant les organes environnants.

Malgré tout, cette hypothèse demeure imparfaite, puisque la plupart des femmes connaissent des menstruations rétrogrades sans endométriose, et qu’il existerait des femmes atteintes d’endométriose sans menstruations rétrogrades. D’autres hypothèses existent, comme celle d’un système immunitaire défaillant, d’un problème génétique, moléculaire, de la migration lymphatique ou sanguine des lésions ou encore d’une différenciation anormale de cellules.

A l’heure actuelle, aucune théorie ne permet d’expliquer à elle seule tous les cas d’endométriose observés, laissant penser que la maladie est multifactorielle, et qu’il n’y aurait pas une, mais des endométrioses.

Bref, l’endométriose est encore loin d’avoir révélé tous ses secrets. Or, ce n’est qu’en en apprenant le plus possible sur cette pathologie gynécologique que l’on parviendra à mettre au point des traitements efficaces et curatifs. Les recherches épidémiologiques, cliniques, in vitro sur tissus et cellules, et in vivo sur la souris ou le primate non-humain ont toutes leur intérêt dans l’exploration de cette maladie. L’amélioration des modèles actuels est également essentielle pour modéliser au mieux la maladie telle qu’elle se manifeste chez la femme.

Les études observationnelles vont nous renseigner sur les aspects populationnels de la maladie chez la femme, ses facteurs de risque et les facteurs qui influencent sa progression. Au niveau physiopathologique, la recherche épidémiologique va indiquer des pistes de recherche à explorer, mais elle a besoin de confronter ces pistes à la recherche expérimentale”, indique l’épidémiologiste Marina Kvaskoff, ajoutant que “ces deux types de recherche se complètent l’un l’autre”. “L’endométriose étant une maladie complexe dont on connaît encore peu de choses, on a besoin de tous les types de recherche pour pouvoir l’étudier”, conclut la chercheuse.

Hélène Bour

Sources et informations complémentaires : 

  • Greaves E, Critchley HOD, Horne AW, Saunders PTK. Relevant human tissue resources and laboratory models for use in endometriosis research. Acta Obstetricia et Gynecologica Scandinavica. 2017;96(6):644-658. doi:10.1111/aogs.13119.
  • info-endometriose.fr
  • Charles Chapron, Yasmine Candau, Idées reçues sur l’endométriose, Editions Le Cavalier Bleu, 2018, 128 pages
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